2013 L'odyssée de la Delta

à la recherche de l’image perdue

La caméra Aaton Delta, quand elle apparut dans le pays du cinéma digital 4K, fut d’une saveur inouïe pour mon œil et mon esprit. Avec l’arrivée des caméras 4K telles que la Alexa (Arri) et la Epic (Red), il y eut le saut de qualité tant attendue. Ce sont bien les premières caméras numériques qui apportèrent une image de grande latitude que la vidéo peinait à donner. La pellicule avait alors sans conteste la primauté de cette épaisseur de matière et de définition.
Avec la Red Epic, j’ai découvert la joie de pouvoir filmer avec une qualité presque comparable à la pellicule, avec l’avantage de l’autonomie de production et de postproduction que ne m’offrait pas la pellicule. Il n’était plus temps de regretter la magnificence de la pellicule mais de souhaiter que les ingénieurs informatiques découvrent le capteur qui puisse pousser plus loin la qualité vers le rendu pellicule, voire au-delà.
C’est ainsi que découvrant les premières images de J-P Beauviala de Aaton au Salon de l’AFC à la Fémis en Février 2012, j’ai été intensément émerveillé par la douceur et la grande palette des teintes de la Delta, comme aucune autre caméra numérique ne l’avait manifesté jusque-là.
Il me fallait donc impérativement plonger mon œil dans ce viseur réflexe et réaliser un film avec !
Mais la recherche de cette caméra, pour en disposer, fut un long chemin car cette Delta fut et est l’objet d’une Odyssée qui jusqu’à ce jour se poursuit.
Plus d’une année après, et bien des déboires de communication et autres labyrinthes du techno-business, nous avons pu mettre en place un projet de court-métrage, le Visage Rouge (titre provisoire), coproduit par Sunrun-films et Le Grand Souffle. Nous avons loué la Pénélope Delta à Panavision ainsi qu’une formule de Rush Management qui nous a aidés à transférer efficacement les rushs. Pour les objectifs, j’ai opté pour la série Cooke S4. J’avais souhaité initialement les Leica Summilux mais…

L’aventure pouvait débuter : dès les premiers tests de Key Light chez Panavision, nous découvrons rapidement les premières faiblesses de cette caméra dans les basses lumières qui ne tolèrent pas de n’être pas éclairées. Très vite, du bruit apparait. Dans les hautes lumières, il faut faire très attention car les aberrations chromatiques se font voir rapidement et ce d’autant plus sur certaines surfaces réflexives en métal. Les jaunes éclatent facilement. En ce qui concerne l’image à proprement parler, voilà la grande surprise pour un capteur d’une sensibilité affichée de 640/800 iso avec une pale (difficile à mettre) liée avec le capteur mécanique de 172,8 d’angulaire qui peut être mise en place et permettre de retirer 3 diaph. Entre 80 et 640 asa, il n’y a pas d’intermédiaire. Ce qui est fort dommage.
L’objet en lui-même nous remet en contact avec la caméra argentique classique de chez Aaton et autres constructeurs, ce qui est très agréable pour le maniement.
Oui la Delta est un bel objet équilibré sur l’épaule et lorsque vous trempez votre œil dans la visée réflexe, vous avez la jubilation du contact direct avec la chose observée. Vous êtes dedans et l’œil, lui, n’est pas grillé par les radiations électroniques.
C’est un point d’ailleurs dont personne ne témoigne ( ?!) mais au regard de ma sensibilité, je ne peux passer sous silence le fait que ces nouvelles caméras 4k, et donc la Delta, dégagent une telle puissance de calcul que lorsqu’on entre dans leurs champs électromagnétique, c’est comme entrer sa tête dans un micro-onde bien plus puissant que je ne sais combien de téléphones portables en même temps. Une pression douloureuse dans les oreilles internes et des maux de têtes… Voilà c’est dit, au risque évidemment des sarcasmes et autres dénis de la modernité qu’il faut préserver au prix de…
Une fois sur les lieux du tournage du Visage Rouge, la Delta s’est révélée très agréable aussi bien sur pied qu’à l’épaule. Compte tenu des essais de Key Light, je faisais très attention à l’éclairage en toute circonstance avec 6 blondes à ma disposition, 1 Arri Fresnel 1 Kw, 3 kinoflo, dont un VistaBeam 600 très agréable à utiliser, une lampe chinoise et quelques mandarines.
Je faisais tout pour garder un diaph constant de 5.6 par crainte de ses faiblesses en basses et hautes lumières. Ce fut très difficile à vivre compte tenu de ce que peut la pellicule 35 dans sa latitude générale ainsi que les capteurs de la Alexa, de la F65 (Sony) et de la Epic. C’est rude de devoir prendre autant de précautions.

Ensuite quelle ne fut pas notre surprise avec l’enregistrement sur Cantar X2 (Kit Aaton !) et micros Shoëps d’entendre le son omniprésent de l’obturateur mécanique de la Delta s’amplifier à travers le ventilateur telle une cage de Faraday. L’équipe son en était dépitée. Comment se fait-il que personne chez Aaton ne le mentionne ! Revenir à un Blimp donc !? Impossible car il aurait fallu englober le ventilateur et risquer une surchauffe des circuits.
Quand nous l’avons signalé, tout le monde semblait tomber des nues. Pendant les tests caméra, ne pas oublier donc de se munir d’un enregistreur son !
Nos premiers jours de tournage se déroulant avec beaucoup de figurants parlants, la nuisance ne fut pas immédiatement flagrante.
Mais quand nous sommes passés aux scènes dont le fond d’ambiance était plus calme, le bruit était évident et continu.
Toutes les prises de son ont été refaites sans la caméra, par sécurité, et un gros travail de postproduction nous attend…
Heureusement, avec quelques recherches et beaucoup de patience, deux Pluggs pourront vous aider à amoindrir cette double fréquence au détriment de quelques autres…
Le Debuzzer d’Oxford a détecté le bruit de l’obturateur autour des 326 Hz et en appliquant un léger filtre grâce au Denoiser du même concepteur, la résonnance dans le ventilateur s’atténue grandement.
Ces corrections, lors des premiers tests, n’ont pas touché les voix humaines, les dialogues n’en pâtissent donc pas.

Sur le plateau, le transfert des cartes s’est fait via le Rush Management de Panavision sur une tour de stockage connectée en SAS. Cette tour allait ensuite être déchargée sur notre station d’étalonnage Scratch. Nous avons loué une version du Rush Management qui nous permettait de visionner les rushes et de les stocker. Etant donné le coût assez important, nous n’avons pas pu louer la solution au- dessus qui permet aussi de faire des exports et daylies. Les cartes sont de 1 To (ce qui permet environ 48 mn de tournage) et leur copie est assez longue.
L’image RAW en CinemaDNG de 3,5K est lourde, il faut du temps pour faire l’opération d’importation et tout cela demande d’avoir de bonnes capacités de stockage ! Sans parler du 7K non opérationnel à ce jour, car, une fois tourné, ni le Ergon, ni un autre logiciel n’est à même de le déployer…
En ce qui concerne toute l’aventure de postproduction, des exports, et plus précisément de l’étalonnage, (un des points le plus laborieux étant lié à l’encodage DNG spécifique à la Delta qui n’est pas suffisamment bien débayerisé par beaucoup des logiciels d’étalonnage qui sont sur le marché), Lucia Diris, qui en a la charge sur Scratch avec l’aide du logiciel Ergon pour la débayerisation, vous donnera un aperçu détaillé de cette phase.

Les premières images que nous avons vues à partir d’un premier calibrage sur le Rush Management nous donnèrent une grande satisfaction de la texture de fond et de la palette des teintes. En cela, c’est une grande émotion esthétique que je n’avais eu que très rarement avec certaines caméras pellicule. Mais n’y a-t-il pas là quelque chose de plus émouvant encore ? Je ne saurais bien pouvoir l’exprimer mais cette palette des teintes me fit me souvenir des peintures de Giotto et de toute une mouvance de la peinture italienne d’avant la Renaissance. J’ai composé le décor du film dans cette perspective de palette. Le résultat est très émouvant malgré les faiblesses de la caméra à ce jour. (À découvrir tout bientôt, des rushs étalonnés sur un site en cours d’élaboration dédié au Visage Rouge).

Voilà pour ma part ce que je peux transmettre de mon expérience sur le terrain.
Pour celles et ceux qui veulent se lancer dans l’aventure, vous avez avec les quelques témoignages qui arrivent en ce moment de quoi faire pour vous préparer à tourner avec la Delta, si vous en avez l’œil et l’argent…
En souhaitant vivement que Transvidéo, qui reprend Aaton, ne laisse pas tomber la Delta car il y a là une promesse à confirmer par des améliorations conséquentes qui permettront, j’en suis certain, de donner des images d’une très grande saveur pour les yeux et donc pour toute notre soif de beauté.

aurélien réal